Lutte et Sacrifice
par Paul Colella
Avril 2002
Récemment un ami m'a demandé pourquoi je lutte contre ce système barbare et comment je parviens à entretenir l'espoir dans cet endroit horrible. J'aurais pu facilement parler des abus psychologiques et physiques, mais cela n'aurait été qu'une répétition et finalement cela ne joue qu'un petit rôle dans le contexte de ma motivation.

Il m'a fallu une certaine dose d'introspection pour décider comment répondre à cette question car je ne voulais pas être vague ou superficiel. Je veux, à travers les mots, retranscrire la force qui m'anime et exposer les sentiments que je n'ai moi-même compris que très récemment.

Pour que vous compreniez, je dois commencer au début et lorsque j'en aurai terminé, la réponse sera évidente.

Le 27 septembre 1968, je suis né sur la banquette arrière d'une Chevrolet 55 qui se rendait à l'hôpital dans la ville de Monroe, LA où mes parents nomades travaillaient pour le carnaval. Ma mère est entrée en travail alors qu'elle jouait au poker et buvait de la vodka. Elle m'a dit que je suis sorti les pieds devant et que depuis je n'ai cessé de courir. Pour autant que je m'en souvienne, elle a toujours été là pour me rattraper quand je tombais.

La pauvreté, l'alcoolisme, les abus physiques et la négligence étaient choses courantes pendant ma jeunesse. À un tel point qu'à l'âge de 7 ans, j'ai été interné après avoir tenté de me suicider, pas une fois mais à deux reprises. Un acte, je l'ai appris plus tard, qui attirait toujours l'attention que je recherchais désespérément. J'ai été placé en observation à l'Asile Psychiatrique Walter Reed pour y suivre des tests.

Un de mes premiers souvenirs les plus émouvants est une visite de ma mère et de mon désir insatiable de la voir me prendre dans ses bras pour me ramener à la maison. Ses larmes, lorsqu'elle a dû partir sans moi, resteront à jamais gravées dans ma mémoire.

C'était le début d'une odyssée qui continue encore aujourd'hui.

Après mon séjour à l'hôpital, il y a eu de nombreux allers et retours chez les psychiatres à l'Université de Loyola. Pendant ces marches solitaires, ma mère me tenait la main et me serrait dans ses bras. Quand elle avait un peu de monnaie, nous nous arrêtions à notre restaurant préféré pour y partager une assiette de galettes de pommes de terre.

Il y a eu des périodes de mon enfance pendant lesquelles elle a été hospitalisée pour plusieurs semaines d'affilée et avec mon jeune frère et ma jeune s¦ur, nous restions avec notre beau-père. Dès le départ, je l'avais détesté, mais avec le temps, j'ai appris à l'aimer. C'est pendant ces périodes d'absence que j'ai rencontré le plus de problèmes.

J'étais un enfant hyperactif et pour moi l'école n'offrait aucun intérêt, je la détestais. Elle était restrictive et ennuyeuse. J'avais, et j'ai toujours, des difficultés à me souvenir de ce que j'apprends. Ce n'est que plus tard dans la vie que j'ai appris qu'il me fallait lire ou faire les choses plusieurs fois pour les mémoriser. Du coup, j'ai atterri dans les classes réservées aux ratés, ce que vous appelleriez sans doute les classes " d'éducation surveillée ", ce à quoi aucun enfant ne devrait jamais être soumis. Cela m'a marginalisé parmi mes semblables. " Attardé " et " crétin " étaient des insultes que nous entendions souvent de la bouche des enfants " normaux ". Pendant cette période-là, lorsqu'elle n'était pas à l'hôpital, ma mère était toujours à mes côtés, aux réunions parents-professeurs, aux consultations chez les médecins et finalement dans le dédale de mes déboires avec la justice.

Mon premier contact avec la loi s'est produit quand, avec quelques copains de classe, nous nous sommes fait prendre en train de lancer des pommes sur les voitures qui passaient. Ma mère m'a tenu la main aussi à ce moment-là. Très jeune, j'ai découvert l'alcool. Mes parents en buvaient, donc c'était facilement accessible. À partir de là, la dégringolade a commencé. Une autre tentative de suicide après une arrestation m'a fait atterrir à Crazy Kates (Asile Katerine Hamilton). Une s¦ur qui m'avait pris une bouteille de Vodka, l'événement s'est terminé en poursuite avec un couteau et un nouveau séjour chez Crazy Kates. Et puis en 1985, lors d'une virée et totalement ivre, j'ai cambriolé la maison d'un voisin. Par d'issue cette fois-ci. J'ai pris 8 ans ferme et je me suis retrouvé en prison à l'âge de 16 ans, un adolescent incarcéré dans une prison d'adultes. Heureusement que des amis m'ont pris sous leur aile après que j'ai dû poignarder un autre prisonnier qui voulait me violer. Cela m'a valu d'être envoyé au mitard, mais cela m'a fait gagner du respect. Désormais, j'avais besoin d'être éduqué pour survivre dans le monde brutal de la prison et cela a aussi découragé quelques agresseurs potentiels.

Pendant ces séjours dans les maisons de redressement, à Crazy Kates, dans les institutions spécialisées et mes cinq années et demie d'incarcération, ma mère m'a rendu visite religieusement, envoyé de l'argent alors qu'à certaines périodes avec mon père, elle devait survivre en mangeant des galettes pendant des semaines.

Après ma libération en 1990, j'ai déménagé au Texas là où mes parents s'étaient récemment installés. J'avais besoin de prendre un nouveau départ. J'ai rencontré une femme et je l'ai épousée un an plus tard. Onze jours plus tard, elle a été violée par un gang. Deux hommes de ce gang ont été retrouvés morts, tués par balles et j'étais le suspect numéro un. J'ai été accusé de ce crime et connaissant la justice comme je la connaissais, je suis parti et me suis caché.

Ma mère a fait ses valises, sacrifiant sa maison et sa famille, dans un élan dicté par son instinct maternel pour protéger son enfant. Elle a fini par me retrouver, mais six mois plus tard, j'ai été arrêté et renvoyé au Texas. À nouveau elle m'a suivi. Elle a contribué à l'enquête en faisant le travail que mon avocat commis d'office aurait dû faire. Elle a assisté à deux procès, le mien et celui de ma femme qui avait aussi été inculpée, mais elle fut acquittée en appel. Ma femme a été libérée et elle m'a quitté.

Quand le juge m'a lu le verdict de mort, j'ai regardé en direction de ma mère, et mon c¦ur s'est arrêté sur ses larmes. J'étais plus dévasté par cette vision que par la sentence de mort qui venait de m'être annoncée.

J'ai finalement été transféré à la prison d'Ellis à Huntsville, là où le couloir de la mort résidait à l'époque. Ma mère m'a encore suivi. Avec mon père, ils ont déménagé dans une petite caravane où ils vivent depuis 8 ans. Pendant ces années, elle a survécu à deux opérations importantes, plusieurs séjours à l'hôpital et pourtant elle a toujours été là avec les cartes, les lettres et les visites, aussi près de moi qu'il était possible de l'être.

Je vais au parloir et elle est là dans son fauteuil roulant, nos regards se croisent et s'illuminent mais à l'intérieur de nous, nous ressentons les douleurs de l'autre. Mon c¦ur se déchire chaque fois que je pense à ses sacrifices.

Les larmes qu'elle refuse de verser devant moi, la douleur physique et le désespoir qu'elle endure quotidiennement sachant où je suis ; elle sait reconnaître mes souffrances. La douleur de ne plus pouvoir connaître ses baisers, la douleur lorsque je sens les larmes qu'elle tente de cacher en attendant d'éclater en sanglots dès que nous sommes plus ensemble.

J'ai reçu une lettre d'elle récemment dans laquelle elle me dit combien elle est fière de l'homme que je suis devenu. Vous imaginez cela vous, fière de son fils dans le couloir de la mort.

Demandez-moi pourquoi je lutte contre un système qui veut ma destruction et je pourrais vous parler des brutalités, des conditions inhumaines et de la torture psychologique que nous, ici dans le couloir de la mort, nous endurons tous les jours. Mais tout cela serait bien pâle en comparaison de l'idée même d'abandonner, de rester passif et de laisser ces gens m'assassiner en silence parce que cela détruirait ma mère.

C'est pour ma mère et les mères qui comme elle ont tout sacrifié, ont lutté et ont maintenu l'espoir bien vivant pour nous tous, que je lutte et que je me bats.

Regardez dans les yeux de votre mère et demandez vous si vous vous battriez et lutteriez, sachant que si vous ne le faisiez pas, elle perdrait espoir et le désir de vivre.

Le 20 mars 2002, sous la pluie glaçante, ma mère s'est à nouveau sacrifiée alors qu'elle était là, dehors, trempée, pour protester contre les conditions de détention inhumaines dans le couloir de la mort du Texas. Pendant qu'elle était là, dehors, j'étais à l'intérieur en train de me faire tabasser par les gardiens.

Un ami prisonnier qui était au parloir lui a fait passer le message par l'intermédiaire de son visiteur. Lorsqu'elle a appris ce qu'il m'arrivait, elle s'est mise à pleurer. D'autres manifestants ont essayé de la réconforter et, finalement épuisée, elle est rentrée à la maison.

Ne me demandez pas pourquoi je me bats, tout ce que vous avez à faire c'est de regarder ma mère assise sous la pluie glaçante et tout devient évident.
Paul Colella.
#999045

Traduction par S. Ageorges - (c) La reproduction totale ou partielle de ce document ne peut se faire sans l'accord préalable de l'auteur.

B A C K