EN DIRECT DU COULOIR DE LA MORT DU TEXAS
Par Paul Colella
Semaine du 2 février 2002
Le 2 février

Jour de récréation : bien sûr un gardien sympa et une jolie gardienne travaillent dans notre section aujourd'hui. Pour se retrouver ensemble, Rick et Chi Town ne mouftent pas et ne font pas d'histoire. Même chose pour Soulja et son pote " T " qui vient d'arriver au niveau III pour avoir menacé l'officier de la commission disciplinaire. Tout s'est passé en douceur jusqu'à mon tour. On m'a menotté, je suis sorti de ma cellule et j'ai dit au gardien que je voulais voir un gradé. Il m'a demandé de ne pas bloquer la coursive, alors j'ai dit gentiment que c'est à propos de mes affaires que je n'ai toujours pas récupérées, mes T-shirts, mes chaussettes, mes  stylos, mes crayons, mes magazines de tatouages, ma brosse à dent, mon dentifrice, ma cuillère et ma liste de courrier. Je ne sais pas pourquoi je n'ai les ais toujours pas récupérés. Rien de tout cela n'est considéré comme de la contrebande, pourtant, rien n'est pas revenu.  Alors après ma récréation, je reviens dans ma cellule. Le gardien me dit qu'il a parlé au  Sergent Ludwig qui dit que je ne peux pas récupérer mes T-shirts ni mes chaussettes, mais qu'il va se renseigner pour le reste. On a le droit aux T-shirts et aux chaussettes, mais bon, je laisse pisser. J'ai essayé de savoir, de comprendre et de m'y prendre comme il faut. On verra ce qui se passera lundi.

Le reste de la journée a été calme. Alors parlons un peu de mes potes de la rangée 2 :

78-Allen Ripkowski. Il était une sorte de comptable avant dans le monde libre. Il perd la tête petit à petit dans cet isolement, aucune stimulation intellectuelle. Il crie et hurle à propos de quelqu'un qui serait en train de la gazer à travers les fissures de son mur et de quelques  punitions diverses comme la restriction de récréation et de nourriture qu'il n'arrête pas d'endurer, pourtant il n'a pris aucun rapport disciplinaire.

79 - Daryl Wheatfall, DW, en voilà un autre qui s'est toujours bagarré contre les conditions de détention et ce depuis longtemps. Je crois que c'est celui qui a eu le plus de rapports   disciplinaires de tous les mecs que je connaisse. Et les gardiens le craignent parce qu'il n'hésite pas à recourir à la même violence qu'eux.

80 - le célèbre Hank Skinner. Beaucoup d'entre vous le connaissez par ses écrits et sa plainte contre l'administration pénitentiaire pour lutter contre les conditions et les mauvais traitements. Il en paye le prix. Ils lui en font baver dès qu'ils en ont l'opportunité.

81 - Richard Michael Cartwright, mon meilleur ami et mon frère pour qui je donnerais volontiers ma vie. Une amitié comme la nôtre n'est pas une chose fréquente et rare même dans ce contexte. Il n'y en a pas beaucoup que j'appelle mes amis dans cet enfer, mais lui oui. Lui aussi il perd la boule petit à petit. Il a demandé de l'aide maintes et maintes fois, mais en vain. Le service de psychiatrie ne l'a même pas convoqué pour un entretien. Mis à part les 5 minutes d'insultes et de conversation devant sa porte.

82 - Eddie Johnson, EJ. Je ne le connais pas très bien mais la seule chose que je sache c'est que nous avons la même correspondante merveilleuse, Sabine. Ma mère et la sienne se sont rencontrées grâce à Sabine et maintenant elles se parlent au téléphone. Ces femmes, toutes les deux malades, dans la même situation douloureuse se sont rapprochées dans un élan de compréhension mutuelle.

83 - Douglas Feldman, dit Birdman, un siffleur chronique et obsessionnel qui rend à peu près tout le monde fou, surtout Chi Town qui veut lui couper les lèvres. Birdman est parfaitement anti-social, ne parle à personne, il pirate les lignes de pèche des autres si elles passent devant sa cellule et du coup, il s'est fait un nombre certain d'ennemis.

84 - Kenny Parr - K-Loc. Je ne sais pas grand chose de lui mais il paraît calme.

Le 3 février,

Laissez-moi vous donner un aperçu de l'intérieur de nos cages. La cellule dans laquelle je suis a une fissure de 5 cm dans le plafond d'où l'eau s'écoule sur mon lit quand il pleut. Mes toilettes fuient. Il y a des fissures dans les murs d'une cellule à une autre, alors si votre voisin ronfle ou pète, c'est comme si vous y étiez. Mon lit est contre le mur donnant sur l'extérieur, mur qui gèle en hiver et brûle en été. La ventilation fonctionne à peine, elle souffle de l'air chaud. La peinture se décolle, on voit aussi des marques de transpiration sur les murs, traces restant de ceux qui sont passés ici pendant ces dix dernières années. Le bâtiment tombe  littéralement en ruine autour de nous. Quand une ampoule est grillée, il faut compter environ un mois à être assis dans le noir avant que quelqu'un ne vienne la changer. Si les toilettes se bouchent et refoulent les chasses d'eau des autres dans votre cellule, il faut compter 3 à 4 jours pour les faire réparer.

Le 4 février,

Lundi, toujours rien à propos de mes affaires. Je vois bien. Soulja est resté là cette nuit, c'est en train de devenir une habitude. J Les gardiens ont été plutôt sympas ces deux derniers jours mais il y a toujours ces trous du cul qui nous provoquent.

16 heures.
Ils viennent d'appeler Bronco Bobby à l'interphone. Il passe au niveau II, mais il va atterrir dans une cellule encore pire que celle qu'il a en ce moment. Il demande à voir un gradé. Ils viennent juste d'amener Rainbow, Raymond Martinez, ils l'ont mis à la 74. Il avait balancé de l'eau bouillante sur la gardienne Atkinson parce qu'elle avait refusé de l'emmener à la douche. La dernière fois qu'elle a travaillé dans son bloc, elle lui a pourri la vie pour tout, sa nourriture, sa récréation et sa douche. Ce coup-ci, il l'a brûlée parce qu'elle ne voulait pas faire déplacer un gradé après l'avoir fait tourner en bourrique. Cela fait longtemps qu'il est ici, ex-membre d'un gang qui tente d'éduquer les jeunes Mexicains pour qu'ils ne terminent pas dans un gang et ce genre de truc. Je viens de récupérer mes papiers de classification. Ils disent que j'ai des rapports disciplinaires récents. Ouais, je ne suis même pas encore allé devant ce  tribunal de pacotille et on ne m'accuse de rien. Encore tout et n'importe quoi, c'est leur pain quotidien.

Le 5 février,

J'attends toujours de voir l'assistant du Conseil qui doit venir m'aider sur ma plainte concernant l'argent qu'ils m'ont piqué. Selon le règlement, ils sont sensés vous fournir une assistance lorsque vous la réclamez. Comme je n'étais pas présent à l'audience, j'ai besoin d'entendre l'enregistrement audio, mais ils n'ont toujours pas répondu à mes demandes. Ils ne veulent pas me rendre mon argent. Les assistants du Conseil sont des ex-gardiens et ils n'en ont rien à cirer. Juste une autre facette de ce bon vieux système corrompu. J'ai fait appeler le Sergent de service. Sergent Poole est venu, il n'était pas de service ces derniers jours donc il n'a aucune idée de ce qu'il se passe. Il me dit qu'il va en parler avec le Lt. Pierce qui vient  faire un tour, il va m'envoyer celui qui est chargé de stocker nos affaires, le property officer. Passe à ton voisin.  J'ai reçu mon nouveau dictionnaire des synonymes ce matin que Sabine m'a envoyé. Merci mon amie J. Maintenant je peux enfin utiliser des grands mots. Sûrement pas ! C'est vraiment la mode ça, il y a plein de gens qui veulent paraître qu'ils ne sont pas et du coup ils sont souvent mal compris. Comme je tiens à être compris, donc je reste moi.

Le 6 février, 17h20

Je suis réveillé par le bruit de Soulja qui refuse de sortir de sa cellule. Il a envoyé bouler le Sergent. Hotea a fait préparer l'équipe et deux gardiens sont arrivés, l'ont gazé une fois. Après 5 minutes, une deuxième fois. Trois gardiens de plus ont été équipés. Ils sont entrés dans la cellule et l'ont maté. Voilà comment ils s'y sont pris. Ils l'ont mis à poil, l'ont roulé dans le gaz qui stagnait sur le sol, tout nu, maintenant sa peau est couverte de gaz (il dit que ses parties génitales sont en FEU). Ils l'ont sorti de sa maison, il a refusé d'aller à la douche parce que à poil, l'eau n'aurait fait qu'étaler le gaz sur sa peau. A ce moment-là, ils sont sensés décontaminer sa cellule. Ils ne l'ont pas fait, ils l'ont simplement remis à l'intérieur, l'ont fait s'allonger dans le gaz, toujours nu, pour lui retirer les chaînes. Histoire de le tartiner un peu de gaz pour lui brûler la peau. Comme on n'a pas été très facile, ils ont envoyé deux trous du cul pour travailler dans cette aile, histoire de semer un peu plus la zizanie.

Ils ont aussi fouillé la cellule d'EJ, pris son miroir et ses t-shirts. Ils s'attendent à ce qu'on se rase et ils nous prennent nos miroirs. Il fait froid, le chauffage ne fonctionne quasiment pas. Ils ne nous donnent AUCUN vêtement chaud et les vêtements chauds que nous avions achetés avec notre argent, ils les ont confisqués. Pourquoi est-ce qu'ils ne nous fichent pas la paix ? Pourquoi secouer un nid de frelons ? Je ne comprends pas leur logique.

L'assistant du Conseil m'a réveillé vers 10 heures du matin pour me transmettre deux rapports disciplinaires pour voie de fait. J'ai appris par son intermédiaire qu'on m'avait collé un rapport pour avoir entartré le sous-directeur le 16 janvier. Contrairement au règlement, personne ne m'en avait prévenu. Ils ne m'ont pas informé car ils ne voulaient pas que je puisse m'expliquer sur cette affaire. Le règlement dicte clairement que TOUTE décision prise contre un détenu doit lui être notifiée, quelle qu'en soit l'issue. On se demande à quoi il sert ce foutu règlement. Comme d'habitude, ils l'interprètent à leur avantage.

Il est 18h13. Saoulja dit que sa peau et ses parties génitales sont toujours en feu.  Il fait froid ! ! Ils ont pris ses vêtements et ses draps. Le règlement dit aussi que lorsqu'un détenu est gazé, on doit lui changer son linge. Voyons voir s'ils vont le faire ? Oui ou Non. Je viens de récupérer l'information officielle et vérifiée de l'administration, directive (AD) 3.46 concernant l'utilisation de produits chimiques. Lorsque le gaz est utilisé, le détenu doit être enchaîné et menotté puis accompagné à la douche. Là il doit être libéré de ses chaînes afin de pouvoir se débarrasser du gaz, on doit lui remettre un caleçon et une combinaison propre. De nouveau menotté et enchaîné, il sera raccompagné à sa cellule. Il est clair que cette procédure  n'a pas été suivie.

Le 7 février,

Je suis allé au tribunal aujourd'hui pour les deux rapports disciplinaires. Nous avons un nouvel officier en charge des audiences disciplinaires, il s'appelle Capitaine Currie. Il m'a interpellé dans le couloir et voulait savoir pourquoi on semait la zizanie. Cela montre à quel point la communication n'est pas très fonctionnelle. Alors j'ai droit à l'inévitable " la violence ne vous mènera nulle part " blabla. Il a l'air assez juste mais c'est un mec qui vient de la population générale et en fait il n'est pas décisionnaire sur ce qu'il se passe dans le couloir de la mort. J'ai écopé d'un avertissement verbal et de 10 jours de restriction de cellule pour chaque rapport. Super, génial. Cela fait trois mois que je suis en restriction de cellule, donc ils ne peuvent plus cumuler plus de jours pendant un moment. J

15h47. Ca recommence, les canalisations refoulent et il y en a partout. Ca a débuté à 15h20. Il nous a fallu 10 minutes pour réussir à attirer l'attention des gardiens. Maintenant, il est maintenant 16h04. Bon, alors nous verrons pendant combien de temps il va nous falloir  supporter ces odeurs. Mon amie Sabine m'a demandé ce qu'il en est des laisses de chiens. Oui, ils les utilisent mais pas très souvent. Ce qu'ils font c'est qu'ils attachent la laisse aux menottes lorsqu'ils les mettent ou les retirent. Parfois ils y attachent juste la clef. Si un détenu bloque les menottes pour les récupérer, au moins il ne récupère pas la clef. La plupart des gardiens sont trop paresseux pour prendre quelques secondes de plus pour utiliser la laisse. Les laisses de chiens sont appelées : les sangles de retrait. Appeler ça des laisses de chiens, cela serait trop dégradant - comme si c'était important pour eux. Les mêmes qui crachent le jus de tabac dans tous les coins du bâtiment, bien sûr le tabac à chiquer est facile à cacher. Même les gardiens en utilisent bien que ce soit interdit. Mais comme toujours avec ce foutu règlement, il passe par la fenêtre à partir du moment où cela concerne leurs obligations.

Ils viennent d'appeler mon voisin Lil Somo à la 77 pour lui dire qu'il descendait au niveau II. La semaine dernière ils ont refusé de redescendre mon pote Billy Galloway au niveau II alors qu'il n'avait eu aucun rapport disciplinaire depuis plus de 3 mois. Raison invoquée :  problèmes disciplinaires récents. N'importe quoi. Il n'a pas eu un seul rapport en 3 mois, cela fait bien plus de 30 jours pour la révision disciplinaire qu'ils sont supposée appliquer. Le sous-directeur Massey, le Major Lester, les Lieutenants et les Sergents se servent du système à  leurs fins et même s'il n'a pas été conçu pour nous au départ, ils ne sont même pas fichus de suivre les directives du death row plan*.

17h41. Le plombier vient d'arriver. Maintenant le porteur (un détenu de la population générale) est en train de dégager toute l'eau des égouts dans le couloir. Il est plutôt lent. Le pauvre type rentre chez lui dans 25 jours, pourtant il essayait de vendre le poulet rôti de son déjeuner. Il s'est fait attraper ! Heureusement pour lui, le gardien de service n'a fait que confisquer le poulet et ne lui pas collé de rapport. Ce crétin est prêt à remettre en cause sa libération pour l'équivalent de 10 timbres en poulet. Les timbres sont une valeur de troc dans les prisons du Texas. Au nord, dans l'Indiana, c'était les cigarettes et les paquets de café. Je suis sûr que c'est différent dans chaque état. Ici, on n'a pas le droit de fumer. Je veux dire que c'est interdit par le règlement. Les gardiens se font tellement de fric avec le marché noir, c'est incroyable. Plutôt cher. Ils peuvent se faire autant de fric avec des cigarettes qu'avec de la  marijuana et c'est moins risqué. Mais une gardienne s'est fait arrêtée pour avoir apporté de la marijuana, alors plutôt le moment, c'est profil bas de ce côté-là. Le vin est facile à fabriquer lorsqu'on a accès aux achats mais maintenant qu'on nous a déménagé, ce n'est plus possible. Je suis sûr qu'on trouvera un moyen, on en trouve toujours un.

Le 8 février,

8h - Quelqu'un crie, je me réveille, je vais vers ma porte, il fait particulièrement froid. Je tend la main vers la ventilation, rien du tout. Je regarde dans la coursive et je vois plusieurs gardiens qui entrent dans notre section, derrière je vois des chiens renifleurs. Il n'y a pas de drogue ici, les seuls qui sont fouillés sont les blacks, Soulja, EJ, DW. Putain, il fait froid. J'interpelle un gardien pour lui demander une combinaison, la mienne a servi à éponger l'eau des égouts pour éviter que cela inonde ma cellule. Le crétin de porteur n'a pas fini de nettoyer hier soir et ça pue encore ici. On a deux gardiens plutôt sympas aujourd'hui dans notre section. L'un va me chercher une combinaison. Merci, mec, je me gèle. Rainbow a reçu une lettre de Joan Civoci de l'ACLU. Elle lui demandait si ce que j'écris est vrai. J D'un côté, je suis un peu vexé mais en fait, je ne peux pas lui en vouloir. C'est bien tout le problème, il y a  trop de gens qui ne nous croient pas. Ils pensent que le système est clair comme de l'eau de roche.

Ils viennent de ramener Rick à la radio. Encore ! C'est la troisième fois. Ca vous montre à quel point le système en est quand on a 5 gardiens qui infligent de telles sévices et qu'ils travaillent toujours ici. De telles sévices, qu'il a fallu lui remettre des os en place et prendre des radios de contrôle. Des sévices qui laissent des traces pendant des jours. Surprise, il a eu une visite de sa famille Lundi, du coup, ils ont fait des photos.

J'aimerais que certains d'entre vous puissent être comme des mouches sur les murs, vous n'en croiriez ni vos yeux, ni vos oreilles. Il n'y a aucun moyen de reproduire sur le papier les odeurs du moment ou le froid. J'envisage sérieusement de faire un feu juste pour me réchauffer. Ceci étant dit, si je fais ça, ils vont tout me confisquer et je vais vraiment me geler. Est-ce que ça en vaut la peine ? Je vous dirais ça plus tard si je décide d'en allumer un.

19h30. Le chauffage fonctionne à nouveau. Il faisait vraiment froid aujourd'hui. Toujours pas un mot à propos de mes affaires, on dirait que je vais devoir encore faire une connerie pour que quelqu'un s'en occupe. J'ai envoyé des I-60, j'en ai parlé à tous les gradés de service et toujours la même réponse : " ok, on va voir ce qu'on peut faire ! ", chaque jour le même blabla. Pourquoi est-ce qu'ils ne trouvent pas une solution ? S'ils ont perdu mes affaires, qu'ils me remboursent. Je paye bien moi quand je fais des dégâts. Règlement par la fenêtre comme d'habitude.

Allez, à la semaine prochaine. Vos questions et commentaires sont les bienvenus.

Paul Colella
#999045 - Polunsky Unit
3872 FM 350 South
Livingston
TX 77351-9630
USA
e-mail : paul@deathrow.at
 

* Death Row Plan : vient en complément du règlement général qui définit les conditions d'incarcération. Le death row plan comporte des conditions particulières qui ne s'appliquent qu'aux condamnés à mort.

Traduction par S. Ageorges - (c) La reproduction totale ou partielle de ce document ne peut se faire sans l'accord préalable de l'auteur.

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