EN DIRECT DU COULOIR DE LA MORT DU TEXAS
Par Paul Colella
Semaine du 4 avril 2002
Le 4 avril

J'ai déposé deux plaintes aujourd'hui ; la première contre l'utilisation excessive de la force le 20 mars dernier et la seconde à propos des détenus des niveaux II et III qui n'ont pas accès aux produits d'hygiène - savon, shampoing, déodorant et dentifrice.

Le règlement dit qu'une seule plainte peut être déposée pendant une période de sept jours, mais les plaintes concernant l'utilisation excessive de la force ne font pas partie du décompte. Alors lundi soir, j'ai préparé celle à propos des produits d'hygiène en stipulant qu'il s'agissait de la seule plainte déposée pendant ces 7 jours puisque que celle concernant l'utilisation abusive de la force ne doit pas être comptabilisée, on me l'a renvoyée. Cette fois-ci, elle m'a été retournée car apparemment les pièces jointes n'étaient pas réglementaires. Visiblement, ils veulent commencer un petit jeu. Du  coup, la nuit dernière j'ai écrit au directeur pour lui exposer la situation avec une copie de la plainte en lui demandant de la faire enregistrer au bureau des plaintes qui avait refusé de le faire, bien que le règlement m'y autorise.

Je vous tiendrais au courant.  Autrement, il ne se passe pas grand-chose et j'espère que vous ne vous désintéresserez pas de notre situation.

Le 5 avril

J'ai parlé avec un autre gradé aujourd'hui qui disait que l'enregistrement vidéo montrait clairement l'utilisation excessive de la force. Il m'a aussi dit que l'opérateur de la caméra ce jour-là, le gardien Jordan, s'est fait tirer les oreilles par le major. Je me demande bien pourquoi. J'imagine que c'est parce qu'il a filmé la totalité des évènements. Si vous vous en souvenez, jusqu'à présent tous ceux qui filment s'arrangent toujours pour se tenir à distance lors des extractions de cellule qui comportent une utilisation excessive de la force.

Je vais essayer d'assigner le gardien Beard pour agression. S'il a été filmé, j'ai une bonne chance. Ces gardiens violents doivent partir. Tout cela est inutile et ça crée plus de problèmes lorsqu'un gardien se pointe avec cet état d'esprit. Souhaitez-moi bonne chance, je vais en avoir besoin.

Le 6 avril

6h19 - C'est le jour de la récréation pour les détenus du niveau III qui sont en restriction de cellule. Les restrictions de cellule ont été levées pour tout le monde lundi seulement parce que depuis tout ce temps, nous nous sommes tous fait avoir. Les filles du service du courrier sont tellement pressées quand elles viennent ici qu'elles oublient le courrier de certaines personnes, elles refusent d'attendre qu'un gardien soit là pour ouvrir les trappes pour le courrier volumineux. Certaines portes n'ont pas de trappes spéciales pour le courrier. Du coup, elles continuent sans s'arrêter. Elles sont devenues vraiment malicieuses parce tout cela est un surcroît de travail pour elles. Elles ont refusé d'entrée de jeu d'attendre que le gardien vienne jusqu'à la cellule de Hank pour qu'il récupère son courrier aujourd'hui. Et c'était des  documents juridiques.

6h40 - c'est la récré !!

8h00 - Me voilà de retour. Nous avons pu persuader les gardiens d'aller en récréation avec Chi Town. Bien sûr, nous avons promis de bien nous tenir. Comme il se doit, notre parole est en or car c'est tout ce qu'il nous reste et ils le savent. Beaucoup n'ont ni fierté ni amour propre, mais il y en a encore quelques-uns qui tiennent bon. Bref, nous avons donc eu l'opportunité de bavarder un peu sur la direction du mouvement de protestation. En forçant la main de l'administration sur des petites choses, nous avons pu prouver jusqu'où ils sont prêts à aller et ce quel que soit notre niveau de détention. Si j'étais au niveau I et que je refuse de sortir et d'être harcelé, le résultat serait le même, là-dessus il n'y a aucun doute. Nous ne comprenons pas bien pourquoi certains prisonniers du niveau I remettent notre parole en question, mais pour nous il s'agit bien d'être unis et de montrer aux autres qu'il y a un réel espoir de changement. Beaucoup le savent, pourtant nous sommes toujours divisés et l'administration se régale. Comme je l'ai déjà dit, la situation actuelle va bien au-delà de 2 ou 3 personnes. C'est bien au-delà même du bloc F, section F. Maintenant d'autres prévoient une protestation non-violente pour affirmer cette unité. Nous y participerons, c'est sûr. Nous avons aussi évoqué une grève de la faim, mais rien n'a été finalisé de ce côté-là. Notre petit mouvement de protestation ici dans le bloc F a permis d'autres initiatives qui ont abouti à la protestation du niveau I. Nous espérons que cela va vraiment nous rassembler sous un seul et même drapeau pour lutter contre ces méthodes barbares qui nous oppressent et nous maintiennent dans le désespoir.

La plupart des prisonniers ne se rendent même pas compte à quel point ils sont affectés par cette incarcération en quartier de haute sécurité. Le syndrome des QHS - le docteur Kupers, dont j'ai déjà parlé précédemment, psychiatre réputé et respecté qui a étudié les effets de l'incarcération depuis les années 60 a écrit :

" CHAQUE prisonnier placé dans un environnement aussi angoissant qu'un quartier de haute sécurité, qu'il soit enclin ou non à la dépression nerveuse, qu'il soit sain d'esprit, finira par perdre contact avec la réalité et montrera des symptômes de décomposition psychiatrique, même si ceux-ci n'aboutissent pas nécessairement à un diagnostique de " psychose ". "

Il dit CHAQUE prisonnier. Je l'ai vu tout autour de moi. Les hommes se replient sur eux-mêmes, ne se douchent plus ou ne sortent plus en récréation, ils ne dorment plus et poussent des hurlements à toute heure du jour ou de la nuit, d'autres dorment 18 à 20 heures par jour, balancent leurs excréments, deviennent perturbateurs juste pour obtenir un peu de contact humain. Je pourrais écrire toute la journée, chaque jour pour tenter d'expliquer combien nous sommes affectés par cet environnement, mais il n'y a aucun moyen pour qui que ce soit de comprendre réellement cet enfer, le sentiment de solitude et de désespoir, l'impuissance, l'isolement ou simplement la joie provoquée par des choses simples qui probablement ne signifient pas grand-chose pour vous. Hier, ils ont tondu la pelouse sous nos fenêtres. Il y avait là quelques petites fleurs roses qui avaient poussé, j'en aurai pleuré. Aujourd'hui, il a plu un peu et je suis monté sur une pile de livres pour regarder dehors, je pouvais presque sentir l'odeur de l'herbe fraîchement coupée, ça m'a bouleversé. J'ai fermé les yeux et je me suis imaginé pieds nus marchant dans l'herbe. J'ai presque senti l'humidité sous mes pieds et pendant un bref instant je me suis échappé de la réalité. Mais quand j'ai ouvert les yeux et que j'ai vu la fenêtre avec une vitre de 1,5 cm d'épaisseur encastrée dans un mur de 15cm d'épaisseur, j'ai sombré à nouveau dans le désespoir. Les émotions changent vite. La prochaine fois que la rosée aura recouvert la pelouse, marchez pieds nus et pensez à vos amis qui n'ont pas cette chance. Un geste aussi simple, pourtant j'en crève.

Ce que je disais c'est que de nombreux prisonniers ici ne réalisent pas l'emprise que cet environnement a sur eux. Je soutiendrais toute forme de protestation, d'action qui pourrait améliorer ce contexte, d'ailleurs quelle que soit la personne qui organise un tel mouvement, cela n'a aucune espèce d'importance. Ils auront mon soutien et je suis certain que Chi Town et Rick seront d'accord avec moi. Je ne peux parler que pour eux parce que nous sommes proches, je les connais et je sais comment ils pensent.

Le 7 avril

8h40 - Ces gens sont vraiment des pourritures. Ils ont encore réduit les portions de nourriture, au moins de moitié. On aurait dû s'en douter. Ils ne veulent surtout pas voir un homme avec le ventre plein. Cet endroit est vraiment tordu. Ils nous donnent le petit-déjeuner à 3h14 du matin ici dans la section F et nous sommes les derniers à manger, donc ils ont dû commencer le service dans la section A vers 3h00 du matin. Ils sont venus pour le déjeuner à 8h28 du matin, donc même chose pour la section A. Le petit-déjeuner à 3h00 du matin et le déjeuner à 8h00 du matin. Ne me dites pas qu'ils ne sont pas tordus.

Le 8 avril

Il se passe plein de trucs aujourd'hui. Le service du courrier est passé en quatrième vitesse et a encore oublié une de mes lettres qui était pourtant placée au bon endroit, ils n'ont aucune excuse. On a toujours du mal à faire nettoyer ces foutues trappes, ce sont de vrais bouillons de culture pour les germes et les bactéries. Il reste de la nourriture, notre linge sale passe par là ainsi que les chaussures quand nous sommes fouillés. J'en ai parlé avec les gradés mais tout le monde se repasse le bébé. Toujours pas de réponse du directeur à propos de mes plaintes qu'ils n'ont pas cessé de me renvoyer. Ce sont toujours les gardiens les plus détendus que nous retrouvons de service ici. Mais l'autre jour, Beard travaillait ici. Rien n'a été dit. Rien n'a besoin d'être dit.

Le 10 avril

7h00 - Notre première récréation " normale ". Les gardiens sont venus nous réveiller pour savoir si nous voulions aller en récréation. Bien sûr qu'on veut y aller. En fait, ils ont fait un coup tordu à Soulja et ils l'ont maintenu en restriction de cellule comme pour les autres. Du coup, il est plutôt énervé et il a raison. Bref, quand ils sont revenus, ils ont annoncé que nous ne sortirions en récréation qu'un par un bien qu'il y avait 3 cellules de récréation disponibles. J'imagine qu'ils ont la trouille. Ils ne veulent surtout pas que nous soyons en même temps à la récréation car ils sont convaincus que nous allons bloquer les trappes. Finalement, ça leur fait plus de travail et ça ne me dérange pas du tout. Je l'avais déjà mentionné, mais le mémo de Penny Long du service du courrier parle de lui-même. Elle est vraiment malade. Il n'y a qu'un seul type de fluide corporel dont elle parle et personne n'a envie de s'en servir pour sceller les lettres. J'ai écrit au Warden Massey pour lui expliquer que si on découpe les rebords collants des enveloppes, en les trempant avec de l'eau, on obtient de la colle. Je sais que certains d'entre vous ont déjà reçu des enveloppes faites maison. Alors cette bonne femme dérangée essaye de mettre fin à la moindre créativité. " NON, LES PRISONNIERS NE PEUVENT PAS UTILISER LEURS CERVEAUX DE FAÇON CREATIVE ". Ils font tout pour détruire toute forme de créativité, aussi triviale soit-elle.

Le 12 avril

Je n'y crois pas, le directeur m'a encore renvoyé mes plaintes. Vous pouvez constater une fois de plus ce que nous devons endurer au quotidien.

À part ça, rien de spécial alors je vais vous laisser pour aujourd'hui.

Dans la lutte et la solidarité,

Paul Colella
#999045

Traduction par S. Ageorges
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