Une lettre de Nanon Williams concernant le mouvement de protestation à Polunsky - Texas
Le 16 mars 2002,

Chers supporters, abolitionnistes, familles et amis,

Après avoir été incarcéré depuis plus de 10 ans, j'ai vu toutes sortes de choses. Comme il est urgent d'aborder un certain nombre de choses, je ne sais pas trop par où commencer. Parfois, il semble que les commencements sont toujours là et que les fins ne sont jamais très loin. C'est ce qu'il m'arrive en ce moment. Lentement mon commencement se transforme en une abysse sans fin. J'ai la sensation d'être à deux doigts du point de non-retour.

A la date d'aujourd'hui, j'ai vu plus 200 hommes et femmes exécutés, des actes de violence répétés qui sont devenus une routine aussi évidente qu'une respiration ; les suicides, la dépression, les gazages (jusqu'à la suffocation) les passages à tabac par les gardiens (pendant lesquels les cris et les hurlements deviennent des déchirements stridents et que les séquelles physiques sont parfois permanentes ou fatales) et la douleur insoutenable au-delà de ce que l'on pourrait imaginer. Je n'ose pas penser à ce qu'il se passe ici afin de maintenir ma santé mentale et pardessus tout l'Espoir. L'espoir est tout ce que nous avons pour affronter chaque jour qui passe. L'Espoir agit comme une sorte d'assurance qu'il existe un lendemain meilleur. Une fois que l'Espoir disparaît, d'une certaine manière, la vie n'est plus.

Quand je me souviens de ces années à la prison d'Ellis (où le couloir de la mort était incarcéré), les mêmes problèmes se posaient qu'à Polunsky. Pourtant, à la prison d'Ellis, les hommes pouvaient travailler, aller en récréation et échanger entre eux, regarder la télévision, marcher sans être enchaînés et rêver ; tout cela dans un environnement contrôlé. Tous ces éléments étaient des signes tangibles de vie.

Depuis notre transfert à Ponlunsky, les prisonniers sont isolés 23 heures par jour (avec une heure de récréation dans une petite cage), aucun contact physique (pas même pour les visites), des fouilles à corps répétées et inutiles (pendant lesquelles les gardiens nous humilient et se moquent de nous), pas de télévision  pour se tenir informés de ce qu'il se passe dans le monde, pas d'objets personnels (sauf pour quelques livres), pas de programme éducatif (alors que la plupart des prisonniers ont eu peu ou pas d'éducation dans le monde libre), pas de travail, pas de cérémonies religieuses, des sous-rations de nourriture (souvent avariées et mal cuites), la température dans les cellules proche de zéro pendant l'hiver et insoutenable de chaleur en été, le manque de soins médicaux (provoquant la mort de certains qui en ont désespérément besoin) ainsi qu'un nombre invraisemblable de conditions inhumaines ou sous-humaines.

Polunsky n'est pas juste une autre prison pour stocker les condamnés à mort, mais un endroit destiné à un isolement permanent. Pas comme au mitard, mais un isolement absolu et total.

Le résultat de cet isolement permanent est que la plupart des hommes souffrent de la privation sensorielle. C'est quoi la privation sensorielle ? La privation sensorielle est la rupture totale avec les cinq sens (le toucher, le goût, l'ouïe, la vue et l'odorat). Lorsque le corps ne reçoit plus aucune stimulation (pas même une chose aussi banale qu'une poignée de main), le besoin d'un équilibre mental et physique est proche du néant. Lorsque l'esprit est terrassé, une déprime profonde s'installe ce qui perturbe la capacité de chacun à contrôler ses humeurs. Je ne suis pas psychiatre et je ne peux pas vous lister tous les effets sur les hommes ici, le peu que je peux vous en dire est que cela altère la santé mentale des hommes ; cela les tue littéralement.

Je ne peux pas décrire ce qu'il se passe ici, sauf pour dire que l'âme de ses hommes est détruite. Ils sont vivants, mais ils ne vivent pas. Certains plongent dans une profonde dépression pour ne plus jamais en ressortir. D'autres deviennent petit à petit plus agressifs, comme un lion torturé, battu et affamé. Qu'est ce qu'il se passe quand le lion sort de sa cage ? Est-il honnête de dire qu'il agira de façon irrationnelle ? Non ! Il agira irrationnellement, pour trouver refuge dans la colère qui l'habite. La colère sera la stimulation qui lui permettra d'exister dans cet état second.

Bien que certains ressentent une rage destructive, d'autres ont aussi une force intérieure suffisante pour reconnaître qu'aucun acte de violence n'aiderait ou n'améliorerait nos conditions de vies. Par conséquent, toute tentative de survie mentale ou physique est susceptible d'être déclenchée par l'utilisation inutile que font les gardiens de " la force excessive et nécessaire ". La force excessive au point de rendre certains prisonniers invalides ou de les tuer.  Encore l'autre jour, un autre homme a été gazé et battu au-delà de l'entendement ; tout cela pendant qu'il était menotté et enchaîné. Les gardiens concernés rient et se targuent d'être celui qui a causé le plus de dégâts. Tout cela sur le dos d'un homme sans défense et impuissant. C'EST DE LA BARBARIE ! Il faut que tout cela cesse et qu'une enquête soit ouverte.

Les prisonniers ici laissent échapper leur mécontentement à travers des cris, des hurlements, des grognements et des grincements de dents. Ces sons sont tellement étranges que l'on se demande souvent s'ils sont l'expression de leur virilité ou de leur insanité. Les gens ne voient pas qu'il s'agit de la peur. Une peur que nous (prisonniers) ne pouvons plus désormais cacher.

Depuis notre transfert ici, tout a changé de façon dramatique. Nous sommes des hommes morts, pas vivants, à peine survivants. Nous réalisons que beaucoup de gens luttent pour nous et font des sacrifices pour améliorer nos conditions de vie. Pourtant, il y a beaucoup de force dans le nombre. L'attention des média est plus que nécessaire.

Alors avec cette tentative de combattre les conditions de vie, les condamnés à mort organisent un mouvement de protestation non-violent de 60 jours. Ensemble, nous (les prisonniers) sommes d'accord, à partir du 1er mai et jusqu'au 1er juillet, nous appliquerons ce qui suit :

* PAS DE RÉCRÉATION
* PAS DE DOUCHE (faites une toilette de chat au lavabo dans vos cellules chaque jour)
* PAS D'ACHATS (sauf pour les achats de timbres et produits d'hygiène)
* PAS D'ÉCHANGE OU DE DISCUSSION AVEC LES GARDIENS (sauf pour montrer votre identification pour le courrier, pour l'appel et pour les visites)

En nous dressant tous ensemble, collectivement, nous les prisonniers, nous allons subir encore des passages à tabac, des gazages et des suppressions de visite, encore moins de nourriture, la confiscation de nos affaires et d'autres mauvais traitements. Ce qu'il se passe ici est une expérience lamentable pour savoir si la volonté et l'esprit des hommes peuvent être brisés.

Dans une société civilisée, nous sommes fiers de pouvoir agir rationnellement alors que le monde qui nous entoure est irrationnel. Ce qui se déroule ici n'est pas seulement irrationnel, mais inhumain et horrible. On accorde aux animaux dans un zoo plus de place que nous, plus de nourriture et de meilleurs soins. Il y a des lois pour protéger les animaux contre la cruauté. Il y a des lois pour nous protéger, mais elles ne sont pas appliquées. Où se trouve la réhabilitation ? Où se trouve la Justice ? La prison est supposée nous priver de notre liberté, pas de notre dignité ou de notre humanité. Il faut reconnaître que certains prisonniers ont commis des crimes horribles, mais il y a aussi des innocents ici, tous ne sont pas coupables des crimes pour lesquels ils ont été condamnés. Devons-nous tous souffrir pour les actes de quelques autres ? La croyance aveugle dans un système erroné, qui juge les pauvres et encore plus les gens de couleur, a mené à ce que nous pouvons désormais appeler l'esclavagisme institutionnalisé. Vous ne verrez jamais un homme riche dans le couloir de la mort ! ! !

À travers nos efforts et nos souffrances continuels, nous nous investissons dans ce mouvement de protestation avec l'espoir qu'il sera constructif pour notre cause.

Dans l'esprit de la lutte,

Nanon M. Williams

Nanon M. Williams
#999163 - Polunsky Unit
3872 FM 350 South
Livingston
TX 77351-9630
USA

Traduction par S. Ageorges - (c) La reproduction totale ou partielle de ce document ne peut se faire sans l'accord préalable de l'auteur.

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